Pourquoi l’État français a-t-il armé les agents privés de sécurité ?
Depuis fin décembre 2017, les agents de sécurité privée bénéficient, sous certaines conditions, du droit au port d’armes défensives et offensives. Frédéric Ocqueteau revient sur ce décret important, pourtant passé inaperçu, et en analyse la genèse, les implications pratiques et la portée politique.
Le législateur français, dans un décret daté du 29 décembre 2017 « relatif à l’exercice de certaines activités privées de sécurité avec le port d’une arme », vient de prendre une initiative spectaculaire dans l’indifférence quasi générale, dans la mesure où il a pris le risque que la traditionnelle exception des agents privés armés devienne désormais la règle. Le présent article entend saisir les caractéristiques de ce nouveau dispositif légal en montrant ce qu’il change à la situation normative antérieure ; revenir sur le contexte d’élaboration du texte en sondant les forces et les résistances des publics cibles concernés, qui ont concouru à rendre possible sa promulgation dans le format décrit ; discuter, enfin, du sens et de la portée de cette nouvelle pièce d’un dispositif plus large, et de son inscription dans un mouvement de privatisation de la sécurité globale dans un État fort.
Une innovation hautement symbolique
Le décret du 29 décembre 2017 modifie les livres III et VI du code de la sécurité intérieure pour mieux « encadrer l’exercice d’une activité de sécurité privée avec le port d’une arme ». Il évoque les conditions d’acquisition, de détention et de conservation des armes par les entreprises et services qui emploieront des agents armés et celles qui les formeront. En effet, les bénéficiaires du port d’arme létale doivent être dûment formés. Très concrètement, sont concernées « toutes les activités ayant pour objet la surveillance humaine ou la surveillance par des systèmes électroniques de sécurité ou le gardiennage de biens meubles et immeubles ainsi que la sécurité des personnes se trouvant dans ces immeubles ou dans les véhicules de transport public des personnes ».
Traduisons : les agents d’entreprises de surveillance humaine directs ou de télésurveillance sous contrat de service, les agents de surveillance internes aux entreprises et, catégorie à part, les gardes du corps privés (agents de protection rapprochée) utilisés par des entreprises nationales ou par des organisations internationales.
Les articles 1 à 9 du décret évoquent le périmètre des armes non létales autorisées relevant de la catégorie D aux agents de surveillance, dans un texte beaucoup plus explicite que naguère. Ce faisant, il assume la généralisation de l’idée que le port des armes de défense de catégorie D serait devenu la norme pour les agents privés, comme c’est devenu le cas pour les agents de police municipale (Bovi-Hosy 2018), quoique en rien une obligation pour les donneurs d’ordre : « des matraques de type bâton de défense ou tonfa2 ; des matraques ou tonfas télescopiques ; des générateurs d’aérosols lacrymogènes ou incapacitants d’une capacité inférieure ou égale à 100 mL ».
Outre cette possibilité, le décret donne, surtout, la possibilité d’équiper des agents de sécurité privée et les gardes du corps privés d’armes à feu de catégorie B, c’est-à-dire des armes offensives telles que « des revolvers chambrés de calibre 38 ou des armes de poing chambrées pour le calibre 9 mm». L’innovation est substantielle dans la mesure où cette catégorie d’agents (environ un millier d’individus) n’avait jamais explicitement bénéficié officiellement d’une telle autorisation, même si l’interdit était largement contourné depuis longtemps. Il faut dire que la confusion (ou la tolérance) relative au port de l’armement létal était de mise pour les gardes du corps publics (fonctionnaires d’État du Service de la protection des hautes personnalités) et gardes du corps agissant « de façon privative » pour le compte de dirigeants d’entreprises publiques sous contrat épisodique.
S’agissant des détails de la mise en oeuvre, le décret en balise les chemins à travers une dizaine d’arrêtés qui devraient suivre au cours de l’année 2018. Ils concerneront les détails pratiques de l’activité spécialisée de « protection des navires », l’usage du gilet pare-balles, les modalités de dépôt des armes, le registre d’inventaire de leur manipulation, le carnet de tir des agents armés, les conditions de leur entraînement régulier, le nombre et les modalités d’acquisition et de détention des armes et munitions par les entreprises et les centres et prestataires de formation ; enfin (art. 2 et 3) – et c’est certainement là que se joueront les négociations les plus âpres – les conditions dans lesquelles policiers, gendarmes et militaires pourront justifier de leur aptitude professionnelle à devenir gérants ou employés d’une entreprise de sécurité privée.
Un changement des plus significatifs tient à la démarcation entre les modalités d’armement des agents en armes de défense (de catégorie D), d’une part, et en armes à feu, donc offensives (de catégorie B), d’autre part.
Distinguer les statuts d’agents ou distinguer les armes ?
Le régime d’autorisation de l’armement s’aligne de fait sur les modalités de l’armement des policiers nationaux et municipaux, en insistant sur la nécessité d’une formation préalable dûment contrôlée et en apportant de rigoureuses précisions sur la traçabilité des armes non létales et des armes à feu autorisées. Tous les agents concernés sont tenus à un entraînement régulier au maniement des armes et à leur mise en sécurité. Le décret est particulièrement loquace sur le nombre d’armes maximum autorisées aux entreprises prestataires et aux services internes (en quantité, deux armes autorisées au maximum pour 10 agents), sur les conditions de leur transport et de leur conservation, ainsi que sur les modalités pratiques de port.
Le seul moment où, dans le texte, le législateur s’est soucié du « public » apparaît dans les quelques précisions données selon lesquelles le port des armes à feu se doit d’être « apparent » et associé au « port obligatoire d’un gilet pare-balles » durant la durée de la mission de surveillance armée, nécessairement accomplie par deux agents en binôme. Si la mission est « permanente » sur tel ou tel lieu, le donneur d’ordre, gestionnaire du périmètre où la mission s’effectue, est tenu d’en « informer explicitement le public », vraisemblablement par voie d’affichage, comme il en va pour les dispositifs de vidéosurveillance.
De manière très classique, le texte prend soin d’inféoder les demandes de permission à l’instruction des préfets de département (ou de la préfecture de police pour Paris et du préfet de police de Marseille pour les Bouches-du-Rhône), lesquels, une fois les conditions de la demande dûment remplies, délivrent l’autorisation aux directeurs des entreprises et services internes agréés par le CNAPS (Conseil national des activités privées de sécurité) et lui en délivrent une copie.
Si le garde du corps privé est tenu de demander lui-même une autorisation préfectorale de port d’arme à feu par requête écrite, tous les agents agréés en tant que porteurs d’armes de catégorie B seront tenus d’en être équipés en les portant « dans leur étui ». Il est, en outre, précisé que les requêtes individuelles sont examinées au cas par cas et délivrées pour une durée d’un an maximum, renouvelable sur nouvelle requête. Par ailleurs, le client (c.-à-d. la personne protégée ou la personnalité étrangère protégée pour « risque exceptionnel d’atteinte à sa vie » sur le sol français) sera identifié par son nom et sa qualité, tout comme le sera l’armement autorisé. Les pièces seront transmises au CNAPS, jouant comme organisme de centralisation nationale de l’information, plutôt que chambre d’instruction des demandes.
La demande d’armements de catégorie D des autres agents de sécurité privée devra, quant à elle, être différemment justifiée. L’autorisation se fera au cas par cas à titre nominatif, de façon à ce que soit également enregistré le nom de chaque agent titulaire aux préfectures et conservé dans un fichier nominatif au CNAPS. Mais elle émanera, en revanche, du client donneur d’ordre sous promesse de contrat d’embauche, en accompagnement de la demande de l’entreprise prestataire.
C’est à cette occasion que l’on voit apparaître dans le texte un acteur jusqu’à présent assez peu visible, du moins toujours à l’arrière-plan dans les mécanismes de la contractualisation des banales prestations de gardiennage et surveillance privées. Ce décret innove en ce qu’il fait dialoguer avec le préfet aussi bien le prestataire de services que son « donneur d’ordre ». Il revient désormais au « client » donneur d’ordre le soin de formuler sa demande de service en agents équipés d’armes de catégorie D (« au regard des risques d’agression que la mission fait peser sur les agents ») ou de catégorie B (« pour des agents de surveillance et protection des biens et des personnes dans des situations estimées particulièrement dangereuses »). Autrement dit, dans cette opération, la responsabilité du donneur d’ordre est beaucoup plus explicitement engagée qu’auparavant.
Tout se passe comme si la légitime défense d’agents de surveillance, réputés de longue date assurer des tâches de protection passive, se voyait désormais confirmée au sein d’un statut de présumées victimes potentielles de l’insécurité. L’État sécuritaire accepte d’étendre le principe d’une « légitime défense » d’agents symbolisant l’ordre de l’espace privé en leur accordant de facto la capacité d’une riposte active ou offensive à des actes d’agression présumés sur ces espaces. Cela revient donc explicitement désormais à responsabiliser l’entreprise cliente désireuse d’équiper les agents d’armes non létales et a fortiori létales. Le texte précise, à cet égard, que la promesse du contrat d’embauche du requérant individuel ou salarié à l’équipement d’une arme devra être exhibée, de sorte que le donneur d’ordre ne puisse plus, aux yeux de l’administration, se dédouaner de sa responsabilité sur l’entreprise de services contractante. Quant au candidat à l’armement offensif, les mailles du filet du contrôle sont plus nombreuses : outre son agrément CNAPS, il devra pouvoir à tout moment exhiber son autorisation de port d’arme D, à garder sur lui en toute occasion.
Une obligation d’ailleurs impérative en cas d’autorisation de déploiement de l’agent sur la voie publique.
Soutiens politiques, syndicats partagés
Le contexte hypersécuritaire dans lequel se meut la France d’aujourd’hui suffit-il à expliquer ce changement symbolique dans la reconnaissance formelle d’agents de sécurité privée armés, comme une quatrième « force » d’appoint aux autres forces de sécurité régaliennes, nationales et municipales ? Quels ont été, à cet égard, les mécanismes de soutien les plus influents pour expliquer une telle consécration symbolique ?
À la suite d’un amendement du sénateur François Grosdidier (Les Républicains), rapporteur de la loi de février 2017, il fut entendu et acté que la loi de 1983 (désormais placée dans le livre VI du Code de sécurité intérieure) avait sans doute autorisé le principe de l’armement des agents privés de sécurité sous conditions, mais sans qu’aucun décret ait jamais vu le jour, hormis celui des convoyeurs de fonds et l’interdit formel pour les gardes du corps privés. La rhétorique du vide juridique à combler allait être d’autant plus facilement entendue qu’un autre amendement à l’article 11 issu de deux députés de la majorité présidentielle (Sébastien Pietrasanta et Marie Le Vern, Parti socialiste) avait été accepté, s’agissant de l’armement des « agents de protection sur des navires français dans les eaux territoriales et les eaux intérieures maritimes françaises […] dès lors qu’il existe un risque exceptionnel d’atteinte à la vie des personnes embarquées sur un navire » (une autorisation désormais accordée par le préfet maritime ou sur demande de l’armateur). Le sénateur François Grosdidier profita de cet amendement pour proposer de l’étendre à l’ensemble des agents de surveillance privée travaillant sur le territoire national.
D’autant que les syndicats patronaux de la sécurité privée n’y étaient a priori pas opposés, les uns restaient réservés, les autres beaucoup plus favorables. L’Union des entreprises de sécurité privée (USP), représentée par Claude Tarlet et Michel Mathieu, le PDG de Securitas (la plus grosse entreprise de sécurité adhérente), fit part de son enthousiasme. Le Syndicat national des entreprises de sécurité privée (SNES), représentant les petites et moyennes entreprises, se montra, en revanche, le plus nuancé ou attentiste. Son porte-parole fit publiquement part de ses doutes quant à la viabilité du modèle économique de la sécurité privée armée : le texte n’allait créer qu’une « niche très étroite » à laquelle ses adhérents ne sauraient répondre face à des donneurs d’ordre exigeants ; les clients ne seraient pas prêts à s’adapter aux coûts de formation préalables de 200 heures annuelles, à supposer qu’ils veuillent disposer d’agents équipés d’armes létales, ni même surtout aux coûts des 35 heures de formation annuelles supplémentaires requises pour des agents équipés d’armes de défense.
Infiniment plus hostiles au projet de décret se montrèrent les syndicats de salariés. La CGT fit part de sa position de franche hostilité au principe de l’agent armé (dépêche AEF, 8 janvier 2018), en rappelant que les travailleurs de la prévention–sécurité deviendraient des cibles exposées parce qu’armés (« ils n’ont pas envie d’être de la chair à canon »), outre la suspicion latente du public les contestant comme n’étant pas assermentés, sans même évoquer le risque plus général d’engager la société dans un cycle de création d’« armées privées ».
Le SNEPS-CFTC (Syndicat national des employés de la prévention et de la sécurité – Confédération française des travailleurs chrétiens), plus modéré, émit également de franches réserves au principe de l’armement, arguant de « l’immaturité du secteur » encore mal formé à ses droits et devoirs, en l’absence surtout de précisions sur les modalités concrètes d’investissement des donneurs d’ordre et du contrôle de la formation des salariés au maniement des armes (dépêche AEF, 30 octobre 2017). Un expert consultant de la sécurité privée influent, Nicolas Le Saux (dépêche AEF, 30 novembre 2017), fit également part de son scepticisme. À ses yeux, une solution plus réaliste aurait consisté à réduire les coûts d’investissement dans la formation à l’armement en ne réservant la filière qu’à des « fonctionnaires publics » détachés ou recrutés ad hoc sur des missions privées facturées en bonne et due forme (à l’exemple de missions gendarmiques payées par EDF). Cette solution eût été plus réaliste que de s’engager dans l’organisation d’une filière de formation spécifique au tout-venant, y compris parmi des fonctionnaires en reconversion professionnelle candidats à un statut de gérants et employés d’entreprises de sécurité privée.
Aucun de ces différents arguments ne fut entendu, pas plus que ne le furent les arguments inquiets des défenseurs des droits de l’homme.
L’opposition sans effet des défenseurs des droits et libertés publiques
En février 2017, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), par la voix de sa présidente, Christine Lazerges, rappela que le ministre de l’Intérieur avait récemment souligné que « la question de l’armement de certains des agents de société de sécurité privée devait être étudiée sérieusement, en prenant en compte les enjeux opérationnels mais également les conséquences en termes de choix de société » (avis CNCDH, 2017, p. 16)4. Or, la Commission fit observer que les transformations opérées par la loi sur la sécurité publique n’avaient pas été précédées de la moindre étude d’impact ni du moindre avis du Conseil d’État. Le Conseil de la stratégie et de la prospective, installé en octobre 2016, n’eut pas davantage la possibilité de se prononcer, alors même qu’il était dans sa vocation de conduire des réflexions de fond sur les politiques publiques de sécurité.
Jacques Toubon, le Défenseur des droits, monta au créneau au lendemain de la promulgation du décret pour rappeler, dans un avis au gouvernement, sa détermination à se saisir d’office ou à être saisi par toute victime ou témoin de faits contraires aux règles de bonne conduite des agents de sécurité privée armée (dans le cas d’un usage disproportionné de la force et des comportements indignes notamment).
Quant à l’administration de contrôle dédiée aux agréments et autorisations du secteur privé, elle adopta une position de prudente neutralité face à la détermination du cabinet du ministre de l’Intérieur. La reconnaissance du statut d’agent de sécurité armé était ressentie au CNAPS comme allant conduire à une révolution lourde de conséquences, exigeant une parfaite harmonisation des pratiques des préfets en matière de critères d’appréciation de lieux dangereux justifiant les armements privés, en zones d’importance vitale ou au sein d’espaces privés recevant du public réputés à risque.
Le CNAPS laissa transpirer d’autres inquiétudes : « les armes de catégorie D, qu’elles soient en vente libre ou soumises à enregistrement (matraques, couteaux, bâtons télescopiques, tonfas…) sont facilement qualifiées d’armes non létales, alors que ce sont des armes qui, dans de mauvaises mains, peuvent le devenir rapidement ».
Un tournant dans la privatisation de la sécurité ?
Que penser de cet appel par l’État aux ressources du marché pour assurer une protection plus efficace des personnes et des biens ? Avant même la promulgation des huit projets d’arrêtés et des circulaires d’application qui en préciseront la mise en oeuvre8, ce décret permet de formuler deux considérations d’ordre général.
La première concerne la nécessité de rompre intellectuellement avec la métaphore confortable de Max Weber, selon laquelle la police de sécurité resterait une prérogative monopolisée de l’État. On peut suivre sur ce point l’argument récemment proposé par un politiste concernant la régulation publique de la sécurité privée (Paulin 2017) : aucun État de droit n’a jamais véritablement détenu, en pratique, ce monopole de la violence. En réalité, on fut toujours aux prises avec un monopole de la délégation de la violence légitime.
Ce qui a donc changé, c’est que cette délégation est désormais parfaitement assumée, pour ne pas dire revendiquée, alors qu’elle avait toujours été occultée, sinon niée. Si les pouvoirs publics ont mis autant de temps à le reconnaître, c’est parce que, grâce à un contexte exceptionnel de l’état d’urgence pérennisé à cinq reprises et justifié par les attentats terroristes de 2015 et 2016, l’idéologie de la privatisation de la sécurité par délégation à des agents appartenant à des entreprises de services dédiées en tant que nécessité inéluctable, a fini par prendre le dessus au point d’avoir converti toutes les élites de la technocratie dirigeante.
La deuxième considération consiste à inscrire cette transformation dans le cadre d’un triple phénomène structurel propre à l’Occident post-11-Septembre (Roche 2017). D’une part, le référentiel politique d’un « marché commun de la sécurité » en Europe, lié à une rhétorique de la guerre au terrorisme provenant des États-Unis d’Amérique (Alix et Cahn 2017), s’est imposé.
D’autre part, les États-nations se sont emparés de ce référentiel en en propageant les pratiques dans le cadre de l’histoire de leurs propres appareils de sécurité. Enfin, ils l’ont fait grâce à la montée de communautés épistémiques influentes, à la jonction de la pensée et de la pratique des reconversions massives des valeurs publiques dans le champ de la prestation contractuelle privée (voir, par exemple, Bauer et Paulin 2013 ; Paulin et Bauer 2017).
Ces communautés ont réussi à justifier auprès des élites la vertu des externalisations de la sécurité par le calcul comparatif des coûts, contribuant au brouillage progressif de frontières antérieurement établies : le paradigme de la sécurité globale s’est progressivement substitué à celui de la sécurité intérieure–extérieure ; la métaphore du continuum entre les notions de sécurité et de défense s’est imposée, en justifiant progressivement la présence militaire dans la sécurité intérieure et la présence policière dans des opérations de pacification extérieures ; les États postmodernes s’engagent désormais ouvertement dans les voies de la militarisation d’un ordre public extensif, enrôlant dans leur cause toutes les forces de sécurité et de protection armées disponibles, au nom de leur « complémentarité », face à l’urgence d’une situation de non-guerre/non-paix conventionnelle.
Autrement dit, on assiste à un phénomène de banalisation de « l’exception ». Face à la prétendue nouveauté de la menace terroriste (islamiste), en France comme dans d’autres démocraties, l’« état d’urgence » lié à cette menace particulière est entré dans le droit pénal commun. Se consolide ainsi un dispositif assis sur une doctrine du « droit pénal dit de l’ennemi » (Linhardt et Moreau de Bellaing 2017) appelant à la légitimation de toutes les forces de sécurité disponible. Les « forces privées » s’alignent progressivement sur les forces publiques policières et militaires surarmées dans la sécurisation générale des espaces urbains sensibles.
A propos de l’auteur :
Frédéric Ocqueteau est directeur de recherche CNRS au CESDIP (Centre d’études sociologiques sur le droit et les institutions pénales). Ses travaux portent sur les organisations policières, la sécurité privée, les politiques publiques et les professions de sécurité.
Il est l’auteur de : Polices entre État et marché (Presses de Sciences Po, 2004) ; Mais qui donc dirige la police ? Une sociologie des commissaires (Armand Colin, 2006) ; avec Daniel Warfman, La Sécurité privée en France (Presses universitaires de France, 2011) ; et Genèse et premiers pas du Conseil national des activités privées de sécurité (CESDIP, collection « Études et données pénales », n° 113, 2013).
Texte publié avec l’autorisation de Frédéric Ocqueteau, « Pourquoi l’État français a-t-il armé les agents privés de sécurité ? », Métropolitiques, 5 mars 2018.